Spectateur fatigué du grand spectacle humain,
Tu nous laisses pourtant dans un rude chemin.
Les nations n’ont plus ni barde ni prophète
Pour enchanter leur route et marcher à leur tête ;
Un tremblement de trône a secoué les rois,
Les chefs comptent par jour et les règnes par mois ;
Le souffle impétueux de l’humaine pensée,
Équinoxe brûlant dont l’âme est renversée,
Ne permet à personne, et pas même en espoir,
De se tenir debout au sommet du pouvoir ;
Mais, poussant tour à tour les plus forts sur la cime,
Les frappe de vertige et les jette à l’abîme.
En vain le monde invoque un sauveur, un appui,
Le temps, plus fort que nous, nous entraîne sous lui :
Lorsque la mer est basse, un enfant la gourmande ;
Mais tout homme est petit quand une époque est grande.
Regarde : citoyens, rois, soldat ou tribun,
Dieu met la main sur tous et n’en choisit pas un ;
Et le pouvoir, rapide et brûlant météore,
En tombant sur nos fronts nous juge et nous dévore.
C’en est fait : la parole a soufflé sur les mers,
Le chaos bout, et couve un second univers ;
Et pour le genre humain que le sceptre abandonne,
Le salut est dans tous, et n’est plus dans personne.
À l’immense roulis d’un océan nouveau,
Aux oscillations du ciel et du vaisseau,
Aux gigantesques flots qui croulent sur nos têtes,
On sent que l’homme aussi double un cap des Tempêtes,
Et passe, sous la foudre et sous l’obscurité,
Le tropique orageux d’une autre humanité.
Aussi jamais les flots où l’éclair se rallume
N’ont jeté vers le ciel plus de bruit et d’écume,
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