Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/97

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Les bombes et l’obus, arc-en-ciel des batailles,
Ne viendront plus s’éteindre en sifflant sur tes bords ;
L’enfant ne verra plus, du haut de tes murailles,
Flotter ces poitrails blonds qui perdent leurs entrailles,
Ni sortir des flots ces bras morts !

Roule libre et limpide, en répétant l’image
De tes vieux forts verdis sous leurs lierres épais,
Qui froncent tes rochers, comme un dernier nuage
Fronce encor les sourcils sur un visage en paix.

Ces navires vivants, dont la vapeur est l’âme,
Déploieront sur ton cours la crinière du feu ;
L’écume à coups pressés jaillira sous la rame ;
La fumée en courant lèchera ton ciel bleu.
Le chant des passagers que ton doux roulis berce
Des sept langues d’Europe étourdira tes flots,
Les uns tendant leurs mains avides de commerce,
Les autres allant voir, aux monts où Dieu te verse,
Dans quel nid le fleuve est éclos.

Roule libre et béni ! Ce Dieu qui fond la voûte
Où la main d’un enfant pourrait te contenir,
Ne grossit pas ainsi ta merveilleuse goutte
Pour diviser ses fils, mais pour les réunir !

Pourquoi nous disputer la montagne ou la plaine ?
Notre tente est légère, un vent va l’enlever :
La table où nous rompons le pain est encor pleine,
Que la mort par nos noms nous dit de nous lever !