Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/296

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et vivante, se regardant dans la mer : mais ce n’est qu’une belle ombre qui s’évanouit en approchant. — Quelques centaines de maisons croulantes et presque désertes, où les Arabes rassemblent le soir les grands troupeaux de moutons et de chèvres noires, aux longues oreilles pendantes, qui défilent devant nous dans la plaine, voilà la Tyr d’aujourd’hui ! Elle n’a plus de port sur les mers, plus de chemins sur la terre ; les prophéties se sont dès longtemps accomplies sur elle.

Nous marchions en silence, occupés à contempler ce deuil et cette poussière d’empire que nous foulions. — Nous suivions un sentier au milieu de la campagne de Tyr, entre la ville et les collines grises et nues que le Liban jette au bord de la plaine. Nous arrivions à la hauteur même de la ville, et nous touchions un monceau de sable qui semble aujourd’hui lui fournir son seul rempart en attendant qu’il l’ensevelisse. Je pensais aux prophéties, et je recherchais dans ma mémoire quelques-unes des éloquentes menaces que le souffle divin avait inspirées à Ézéchiel. Je ne les retrouvai pas en paroles, mais je les retrouvai dans la déplorable réalité que j’avais sous les yeux. Quelques vers de moi jetés au hasard en partant de la France pour visiter l’Orient, remontaient seuls dans ma pensée :

« Je n’ai pas entendu sous les cèdres antiques
» Les cris des nations monter et retentir,
» Ni vu du noir Liban les aigles prophétiques
» Descendre, au doigt de Dieu, sur les palais de Tyr. »

J’avais devant moi le noir Liban ; mais l’imagination m’a