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bleu, le tour des paupières de la même couleur, et un léger tatouage peint autour des lèvres et sur les joues. Elles sont vêtues d’une seule chemise bleue, nouée d’une ceinture blanche au-dessus des hanches ; toutes ont l’apparence de la misère et de la souffrance. Les hommes sont couverts d’un manteau sans couture, d’une étoffe pesante, tissée de raies noires et blanches sans aucune forme, les jambes, les bras, la poitrine nus. Après avoir traversé, pendant une course de six heures, cette plaine jaunâtre et rocailleuse, mais fertile, nous voyons le terrain s’affaisser tout à coup devant nos pas, et nous découvrons l’immense vallée du Jourdain et les premières lueurs azurées du beau lac de Génésareth ou de la mer de Galilée, comme l’appellent les anciens et l’Évangile. Bientôt il se déroule tout entier à nos yeux, entouré de toutes parts, excepté au midi, d’un amphithéâtre de hautes montagnes grises et noires. À son extrémité méridionale et immédiatement sous nos pieds, il se rétrécit et s’ouvre pour laisser sortir le fleuve des prophètes et le fleuve de l’Évangile, le Jourdain !

Le Jourdain sort en serpentant du lac, se glisse dans la plaine basse et marécageuse d’Esdraëlon, à environ cinquante pas du lac ; il passe, en bouillonnant un peu et en faisant entendre son premier murmure, sous les arches ruinées d’un pont d’architecture romaine. C’est là que nous nous dirigeons par une pente rapide et pierreuse, et que nous voulons saluer ses eaux, consacrées dans les souvenirs de deux religions. En peu de minutes nous sommes à ses bords : nous descendons de cheval, nous nous baignons la tête, les pieds et les mains, dans ses eaux douces, tièdes et bleues comme les eaux du Rhône quand il s’échappe du lac