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naient toujours quelques inquiétudes sur la santé de Julia. M. Cattafago me laissa, en me priant d’aller déjeuner dans un pavillon qu’il avait construit à Nazareth, et où il passait seul les jours brûlants de l’été ; et j’ouvris les journaux. Mon nom fut le premier qui me frappa : c’était un feuilleton du Journal des Débats, où l’on citait des vers que j’avais adressés, en partant de France, à Walter Scott. Je tombai sur ceux-ci, dont le sens triste et inquiet convenait si bien à la scène où le hasard me les envoyait ; scène des plus grandes révolutions de l’esprit humain, scène où l’esprit de Dieu avait si puissamment remué les hommes, et dont l’idée rénovatrice du christianisme avait pris son vol sur le monde, comme une idée, fille encore du christianisme, remuait l’autre rivage de ces mers d’où mes accents m’étaient revenus.


Spectateur fatigué du grand spectacle humain,
Tu nous laisses pourtant dans un rude chemin ;
Les nations n’ont plus ni barde ni prophète
Pour enchanter leur route et marcher à leur tête,
Un tremblement de trône a secoué les rois ;
Les chefs comptent par jour, et les règnes par mois ;
Le souffle impétueux de l’humaine pensée,
Équinoxe brûlant dont l’âme est renversée,
Ne permet à personne, et pas même en espoir,
De se tenir debout au sommet du pouvoir ;
Mais, poussant tour à tour les plus forts sur la cime,
Les frappe de vertige et les jette à l’abîme.
En vain le monde invoque un sauveur, un appui :
Le temps, plus fort que nous, nous entraîne sous lui.
Lorsque la mer est basse, un enfant la gourmande ;
Mais tout homme est petit quand une époque est grande !