Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/390

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et s’informa des lieux où je désirais aller. Je nommai Jérusalem et la Judée. À ces mots, lui, ses officiers, MM. Damiani, les pères du couvent de Terre-Sainte à Jaffa, qui étaient présents, se récrièrent, et me dirent que la chose était impossible ; que la peste venait d’éclater, avec l’intensité la plus alarmante, à Jérusalem, à Bethléem et sur toute la route ; qu’elle était même à Ramla, première ville qu’on a à traverser pour aller à Jérusalem ; que le pacha venait de mettre en quarantaine tout ce qui revenait de la Palestine ; qu’à supposer que je fusse assez téméraire pour y pénétrer et assez heureux pour échapper à la peste, je ne pourrais peut-être pas rentrer en Syrie de plusieurs mois ; qu’enfin les couvents, où les étrangers reçoivent l’hospitalité dans la terre sainte, étaient tous fermés ; que nous ne serions reçus dans aucun, et qu’il fallait de toute nécessité remettre à une autre époque et à une saison plus favorable le voyage que je projetais dans l’intérieur de la Judée.

Ces nouvelles m’affligèrent vivement, mais n’ébranlèrent pas ma résolution. Je répondis au gouverneur que, bien que je fusse né dans une autre religion que la sienne, je n’en adorais pas moins que lui la souveraine volonté d’Allah : que son culte à lui s’appelait Fatalité, et le mien Providence ; mais que ces deux mots différents n’exprimaient qu’une même pensée : Dieu est grand ! Dieu est le maître ! Allah kérim ! que j’étais venu de si loin, à travers tant de mers, tant de montagnes et tant de plaines, pour visiter les sources d’où le christianisme avait coulé sur le monde, pour voir la ville sainte des chrétiens, et comparer les lieux avec les histoires ; que j’étais trop avancé pour reculer, et remettre à l’incertitude des temps et des choses un