Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/403

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Comme la peste régnait à Jérémie, Abougosh, qui savait que les Européens étaient en quarantaine, eut soin de ne pas toucher nos vêtements, et il établit son divan et celui de ses frères vis-à-vis de nous, à une certaine distance : quant à nous, nous n’acceptâmes que les nattes de paille et de jonc, parce qu’elles sont censées ne pas communiquer la contagion. On apporta le café et les sorbets. Nous eûmes une assez longue conversation générale ; puis Abougosh me pria d’éloigner ma suite et éloigna lui-même la sienne, pour me communiquer quelques renseignements secrets que je ne puis consigner ici. Après avoir causé ainsi quelques minutes, nous fîmes rapprocher, lui ses frères, moi mes amis. « Connaît-on mon nom en Europe ? me demanda-t-il. — Oui, lui dis-je : les uns disent que vous êtes un brigand, pillant et massacrant les caravanes, emmenant les Francs en esclavage, et l’ennemi féroce des chrétiens ; les autres assurent que vous êtes un prince vaillant et généreux, réprimant le brigandage des Arabes des montagnes, assurant les routes, protégeant les caravanes, l’ami de tous les Francs qui sont dignes de votre amitié. — Et vous, me dit-il en riant, que direz-vous de moi ? — Je dirai ce que j’ai vu, lui répondis-je : que vous êtes aussi puissant et aussi hospitalier qu’un prince des Francs, qu’on vous a calomnié, et que vous méritez d’avoir pour amis tous les Européens qui, comme moi, ont éprouvé votre bienveillance et la protection de votre sabre. » Abougosh parut enchanté. Son frère et lui me firent encore un grand nombre de questions sur les usages des Européens, sur nos habits, sur nos armes, qu’ils admiraient beaucoup ; et nous nous séparâmes. Au moment de nous quitter, il donna ordre à un de ses neveux et à quelques cavaliers de se mettre à la tête de