Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/53

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debout, couchés sur les planches de sapin luisant, ou sur les câbles roulés en vastes spirales ; les uns raccommodant les vieilles voiles avec de grosses aiguilles de fer, comme de jeunes filles brodant le voile de leurs noces ou le rideau de leur lit virginal ; les autres se penchant sur les balustrades, regardant sans les voir les vagues écumantes comme nous regardons les pavés d’une route cent fois battue, et jetant au vent avec indifférence les bouffées de fumée de leurs pipes de terre rouge. Ceux-ci donnent à boire aux poules dans leurs longues auges ; ceux-là tiennent à la main une poignée de foin, et font brouter la chèvre, dont ils tiennent les cornes de l’autre main ; ceux-là jouent avec deux beaux moutons qui sont juchés entre les deux mâts dans la haute chaloupe suspendue : ces pauvres animaux élèvent leur tête inquiète au-dessus des bordages, et, ne voyant que la plaine ondoyante blanchie d’écume, ils bêlent après le rocher et la mousse aride de leurs montagnes.

À l’extrémité du navire, l’horizon de ce monde flottant, c’est la proue aiguë, précédée de son mât de beaupré incliné sur la mer ; ce mât se dresse à l’avant du vaisseau comme le dard d’un monstre marin. Les ondulations de la mer, presque insensibles au centre de gravité, au milieu du pont, font décrire à la proue des oscillations lentes et gigantesques. Tantôt elle semble diriger la route du vaisseau vers quelque étoile du firmament, tantôt le plonger dans quelque vallée profonde de l’Océan ; car la mer semble monter et descendre sans cesse quand on est à l’extrémité d’un vaisseau qui, par sa masse et sa longueur, multiplie l’effet de ces vagues ondulées.