Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/78

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ruines mêmes d’un monument écroulé, ils en ont contracté la mélancolie et l’insouciance sur le présent. — Comment, lui disais-je, un homme comme vous supporte-t-il l’exil intellectuel et la réclusion dans laquelle vous vivez dans ce palais désert et parmi la poudre de ces livres ? — Il est vrai, me répondit-il, je vis seul, et je vis triste ; l’horizon de cette île est bien borné ; le bruit que je pourrais y faire par mes écrits ne retentirait pas bien loin, et le bruit même que d’autres hommes font ailleurs retentit à peine jusqu’ici. Mais mon âme voit au delà un horizon plus libre et plus vaste, où ma pensée aime à se porter ; nous avons un beau ciel sur la tête, un air tiède autour de nous, une mer large et bleue sous les regards ; cela suffit à la vie des sens : quant à la vie de l’esprit, elle n’est nulle part plus intense que dans le silence et dans la solitude. — Cette vie remonte ainsi directement à la source d’où elle émane, à Dieu, sans s’égarer et s’altérer par le contact des choses et des soucis du monde. Quand saint Paul, allant porter la parole féconde du christianisme aux nations, fit naufrage à Malte, et y resta trois mois pour y semer le grain de sénevé, il ne se plaignit pas de son naufrage et de son exil, qui valurent à cette île la connaissance précoce du Verbe et de la morale divine : dois-je me plaindre, moi, né sur ces rochers arides, si le Seigneur m’y confine pour y conserver sa vérité chrétienne dans les cœurs où tant de vérités sont prêtes à s’éteindre ? — Cette vie a sa poésie, ajoutait-il : quand je serai libre enfin de mes classifications et de mes catalogues, peut-être écrirai-je aussi cette poésie de la solitude et de la prière. — Je le quittai avec peine et désir de le revoir.

L’église de Saint-Jean, cathédrale de l’île, a tout le ca-