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Si, du désert muet du limpide Orient,
Mon visage vers vous se tourne en souriant ;
Si, pensant aux amis qui verront cette aurore,
Mon âme avec la leur veut se confondre encore ;
C’est par une autre voix que mon cœur attendri
Leur jette et leur demande un souvenir chéri :
La prière ! accent fort, langue ailée et suprême,
Qui dans un seul soupir confond tout ce qui s’aime,
Rend visibles au cœur, rend présents devant Dieu
Mille êtres adorés, dispersés en tout lieu ;
Fait entre eux, par les biens que la vertu nous verse,
Des plus chers dons du ciel l’invisible commerce,
Langage universel jusqu’au ciel répandu,
Qui s’élève plus haut pour mieux être entendu,
Inextinguible encens qui brûle et qui parfume
Celui qui le reçoit et celui qui l’allume !

C’est ainsi que mon cœur se communique à toi :
Tous les mots d’ici-bas sont néant devant moi.
Et si tu veux savoir pourquoi je les méprise,
Suis ma voile qui s’enfle et qui fuit sous la brise,
Et viens sur cette scène où le monde a passé,
Où le désert fleurit sur l’empire effacé,
Sur les tombeaux des dieux, des héros et des sages,
Assister à trois nuits et voir trois paysages !

Je venais de quitter la terre, dont le bruit
Loin, bien loin sur les flots vous tourmente et vous suit ;
Cette Europe où tout croule, où tout craque, où tout lutte,
Où de quelques débris chaque heure attend la chute ;
Où deux esprits divers, dans d’éternels combats,
Se lancent temple et lois, trône et mœurs en éclats,
Et font, en nivelant le sol qui les dévore,
Place à l’esprit de Dieu, qu’ils ne voient pas encore !