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À cheval à six heures. C’est notre dernière journée ; nous complétons nos costumes turcs pour n’être pas reconnus pour Francs dans les environs de Damas. Ma femme revêt le costume des femmes arabes, et un long voile de toile blanche l’entoure de la tête aux pieds. Nos Arabes font aussi une toilette plus soignée, et nous montrent du doigt les montagnes qui nous restent à franchir, en criant : Scham ! Scham ! C’est le nom arabe de Damas.

La population fanatique de Damas et des pays environnants exige ces précautions de la part des Francs qui se hasardent à visiter cette ville. Seuls parmi les Orientaux, les Damasquins nourrissent de plus en plus la haine religieuse et l’horreur du nom et du costume européens. Seuls ils se sont refusés à admettre les consuls ou même les agents consulaires des puissances chrétiennes. Damas est une ville sainte, fanatique et libre : rien ne doit la souiller.

Malgré les menaces de la Porte, malgré l’intervention plus redoutée d’Ibrahim-Pacha, et une garnison de douze mille soldats égyptiens ou étrangers, la population de Damas s’est obstinée à refuser au consul général d’Angleterre en Syrie l’accès de ses murs. Deux séditions terribles se sont élevées dans la ville, sur le seul bruit de l’approche de ce consul. S’il n’eût rebroussé chemin, il eût été mis en pièces. Les choses sont toujours dans cet état ; l’arrivée d’un Européen en costume franc serait le signal d’une émotion nouvelle, et nous ne sommes pas sans inquiétude que le bruit de notre marche ne soit parvenu à Damas, et ne nous expose à de sérieux périls. Nous avons pris toutes les précautions possibles. Nous sommes tous vêtus du costume