Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/393

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mers. Leurs tours et leurs tourelles suspendues sur les vaisseaux à pleines voiles ; les longs rameaux de lierre qui pendent, comme des manteaux de guerriers, sur leurs murs à demi ruinés ; les rochers gris qui les portent, et dont les angles sortent de la forêt qui les enveloppe ; les grandes ombres qu’ils jettent sur les eaux, en font un des points les plus caractérisés du Bosphore. C’est là qu’il perd de son aspect exclusivement gracieux, pour prendre un aspect tour à tour gracieux et sublime. Des cimetières turcs s’étendent à leurs pieds, et des turbans sculptés en marbre blanc sortent çà et là des touffes de feuillage, baignés par le flot. Heureux les Turcs ! ils reposent toujours dans le site de leur prédilection, à l’ombre de l’arbuste qu’ils ont aimé, au bord du courant dont le murmure les a charmés, visités par les colombes qu’ils nourrissaient de leur vivant, embaumés par les fleurs qu’ils ont plantées : s’ils ne possèdent pas la terre pendant leur vie, ils la possèdent après leur mort, et on ne relègue pas les restes de ceux qu’on a aimés dans ces voiries humaines d’où l’horreur repousse le culte et la piété des souvenirs.

Au delà des châteaux, le Bosphore s’élargit ; les montagnes de l’Europe et de l’Asie s’élèvent plus âpres et plus désertes. Les bords seuls de la mer sont encore semés çà et là de maisonnettes blanches, et de petites mosquées rustiques assises sur un mamelon auprès d’une fontaine, et sous le dôme d’un platane. Le village de Thérapia, séjour des ambassadeurs de France et d’Angleterre, borde la rive un peu plus loin ; les hautes forêts qui le dominent jettent leurs ombres sur les terrasses et les pelouses des deux palais ; de petites vallées serpentent, encaissées entre les rochers, et