Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/6

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conduit, où l’œil ne voit que la répétition éternelle des mêmes scènes qui l’environnent. Presque toutes ces montagnes ont l’apparence volcanique ; les pierres roulées sur leurs flancs ou sur la route, par les eaux d’hiver, ressemblent à des blocs de lave durcie et gercée par les siècles. On voit même çà et là dans les lointains, sur quelques croupes de collines, cette légère teinte jaunâtre et sulfureuse qu’on aperçoit sur le Vésuve ou sur l’Etna ; il est impossible de résister longtemps à l’impression de tristesse et d’horreur que ce paysage inspire. C’est une oppression du cœur et une affliction des yeux. Quand on est au sommet d’une des montagnes, et que l’horizon s’ouvre un instant au regard, on ne voit, aussi loin que la vue peut porter, que des chaînes noirâtres, des cimes coniques ou tronquées, amoncelées les unes sur les autres et se détachant du bleu cru du firmament ; c’est un labyrinthe, sans bornes, d’avenues de montagnes de toutes formes, déchirées, cassées, fendues en morceaux gigantesques, renouées les unes aux autres par des chaînes de collines semblables, avec des ravins sans fond où l’on espère entendre au moins le bruit d’un torrent, mais où rien ne remue, sans qu’on puisse découvrir un arbre, une herbe, une fleur, une mousse ; ruines d’un monde calciné, ébullition d’une terre en feu, dont les bouillons pétrifiés ont formé ces vagues de terre et de pierre. À six heures, nous rencontrons, au fond d’un ravin, les murs d’un caravansérai ruiné, et une source protégée par un petit mur orné de sentences du Koran. La source ne verse que goutte à goutte sa pluie dans le bassin de pierre ; nos Arabes y appliquent en vain leurs lèvres ; nous faisons reposer un moment nos chevaux à l’ombre du caravansérai : nous avons descendu si longtemps, que nous