Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/64

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crales. Nous marchâmes longtemps avec difficulté sur ce sol, qui recouvrait à peine tant de victimes de l’ambition et du caprice de ce qu’on appelle un héros.

Nous pressions le pas de nos chevaux, dont les pieds heurtaient sans cesse contre les morts et brisaient les ossements que les chacals avaient découverts ; et nous allâmes camper à environ une heure de cet endroit funeste, dans un site charmant de cette plaine, tout arrosé d’eau courante, tout ombragé de palmes d’orangers et de limoniers doux, hors du vent de Saint-Jean d’Acre, dont les émanations nous poursuivaient. Ces jardins, jetés comme une oasis dans la nudité de la plaine d’Acre, avaient été plantés par l’avant-dernier pacha, successeur du fameux Djezzar-Pacha. Quelques pauvres Arabes, réfugiés dans des huttes de terre et de boue, nous fournirent des oranges, des œufs et des poulets ; nous dormîmes là.

Le lendemain, M. de Laroyère put à peine se lever de sa natte et monter à cheval ; tous ses membres, engourdis par la douleur, se refusaient au moindre mouvement. Il sentit les premiers symptômes du typhus, que sa science médicale lui apprenait à distinguer mieux que nous. Mais le lieu ne nous offrant ni abri ni ressources pour établir un malade, nous nous hâtâmes de nous en éloigner avant que la maladie fût devenue plus grave, et nous allâmes coucher à quinze lieues de là, dans la plaine de Tyr, aux bords d’un fleuve ombragé d’immenses roseaux, et non loin d’une ruine isolée qui semble avoir appartenu à l’époque des croisés. Le mouvement et la chaleur avaient ranimé M. de Laroyère. Nous le couchâmes sous la tente, et nous allâmes tuer des canards