Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/272

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que les femmes seules pouvaient y réussir ; et l’on ne saurait se faire une idée de la fatigue et de l’ennui des cinq journées qui furent employées à leur faire reconnaître le bétail, les tentes et les bagages des diverses tribus. Chaque chameau et chaque mouton a sur la cuisse deux chiffres marqués avec un fer chaud, celui de la tribu et celui du propriétaire ; mais pour peu que les chiffres se ressemblent ou soient à moitié effacés, ainsi qu’il arrive constamment, la difficulté devient extrême ; et il fallait plus que de la générosité pour s’exposer à subir ces contestations, et s’exténuer à mettre d’accord les prétentions des uns et des autres. Aussi étais-je tenté de me repentir de mon élan de compassion et de ma promesse imprudente.

À cette époque, une grande caravane, allant de Bagdad à Alep, vint à passer, et fut dépouillée par les Fedans et les Sabhas. Elle était très-richement chargée d’indigo, café, épices, tapis de Perse, cachemires, perles, et autres objets précieux ; nous l’évaluâmes à dix millions de piastres. Dès que cette capture fut connue, des marchands arrivèrent, quelques-uns de fort loin, pour troquer ou acheter ces richesses des Bédouins, qui les vendaient, ou plutôt les donnaient presque pour rien. Ainsi, ils échangeaient une mesure d’épices contre une mesure de dattes ; un cachemire de mille francs contre un machlas noir ; une caisse d’indigo contre une robe de toile ; des pièces entières de foulards de l’Inde contre une paire de bottes. Un marchand de Moussoul acheta, pour une chemise, un machlas et une paire de bottes, des marchandises valant plus de quinze mille piastres ; et une bague de diamants fut donnée pour un rotab de tabac. J’aurais pu faire ma fortune dans cette