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bourgeoisie, devait redouter l’orateur du peuple. Entre le dictateur de la cité et le dictateur de la tribune, une secrète jalousie devait exister.

Mirabeau, qui n’avait jamais attaqué M. de La Fayette dans ses discours, avait souvent laissé échapper dans la conversation, sur son rival, de ces mots qui s’impriment d’eux-mêmes en tombant sur un homme. Mirabeau de moins, M. de La Fayette paraissait plus grand : il en était de même de tous les orateurs de l’Assemblée. Il n’y avait plus de rival, mais il y avait des envieux. Son éloquence, toute populaire qu’elle fût, était celle d’un patricien. Sa démocratie tombait de haut : elle n’avait rien de ce sentiment de convoitise et de haine qui soulève les viles passions du cœur humain, et qui ne voit dans le bien fait au peuple qu’une insulte faite à la noblesse. Ses sentiments populaires n’étaient en quelque sorte qu’une libéralité de son génie. Les magnifiques épanchements de sa grande âme ne ressemblaient en rien aux mesquines irritations des démagogues. En conquérant des droits pour le peuple, il avait l’air de les donner. C’était un volontaire de la démocratie. Il rappelait trop par son rôle et par son attitude aux démocrates rangés derrière lui que, depuis les Gracques jusqu’à lui-même, les tribuns les plus puissants pour servir le peuple étaient sortis des patriciens. Son talent, sans égal par la philosophie de la pensée, par l’étendue de la réflexion et par le grandiose de l’expression, était une autre espèce d’aristocratie qu’on ne lui pardonnait pas davantage. La nature l’avait fait premier, la mort faisait jour autour de lui à tous les seconds. Ils allaient se disputer cette place qu’aucun n’était fait pour conquérir. Les larmes qu’ils versaient sur son cercueil étaient feintes. Le