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raison. Le moule où elle jetait cette jeune âme était gracieux ; mais il était d’airain. On eût dit qu’elle prévoyait de loin les destinées de cette enfant, et qu’elle mêlait à tous les accomplissements de la jeune fille ce quelque chose de mâle qui fait les héros et les martyrs.

La nature s’y prêtait admirablement. Elle avait donné à son élève une intelligence supérieure encore à sa beauté. Cette beauté de ses premières années, dont elle a tracé elle-même les principaux traits avec une complaisance enfantine dans les pages heureuses de ses Mémoires, était loin d’avoir acquis le caractère d’énergie, de mélancolie et de majesté, que lui donnèrent plus tard l’amour contenu, les pensées viriles et le malheur.

Une taille élevée et souple, des épaules effacées, une poitrine large, soulevée par une respiration libre et forte ; une attitude modeste et décente, cette pose du cou qui caractérise l’intrépidité, des cheveux noirs et lisses, des yeux bleus brunis par l’ombre de la pensée, un regard qui passait, comme l’âme, de la tendresse à l’énergie, une bouche un peu grande, ouverte au sourire comme à la parole, des dents éclatantes, un menton relevé et arrondi donnant à l’ovale de sa figure cette grâce voluptueuse et féminine sans laquelle la beauté même ne produit pas l’amour, une peau marbrée des teintes de la vie et veinée d’un sang qui se portait à la moindre impression sur ses joues rougissantes, un son de voix qui empruntait ses vibrations aux fibres graves de la poitrine et qui se modulait profondément aux mouvements mêmes du cœur (don précieux, car le son de voix, qui est la communication de l’émotion dans la femme, est le véhicule de la persuasion dans l’orateur ; à ces deux titres la nature lui devait le charme de la voix, et elle le lui