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les impressions et les idées qui me rendirent républicaine sans que je songeasse alors à le devenir. » Après Plutarque, ce fut Fénelon qui émut le plus son cœur. Le Tasse et les poëtes vinrent ensuite. L’héroïsme, la vertu et l’amour devaient se verser de ces trois vases ensemble dans l’âme d’une femme destinée à cette triple palpitation des grandes impressions.

Au milieu de cet embrasement de son âme, sa raison restait froide et sa pureté sans tache. À peine confesse-t-elle de légères et fugitives émotions du cœur et des sens. « En les lisant derrière le paravent qui fermait ma chambre dans la salle de mon père, écrit-elle, ma respiration s’élevait, je sentais un feu subit couvrir mon visage, et ma voix altérée aurait trahi mon agitation. J’étais Eucharis pour Télémaque, Herminie pour Tancrède. Cependant, toute transformée en elles, je ne songeais pas à être moi-même quelque chose pour personne. Je ne faisais point de retour sur moi, je ne cherchais rien autour de moi ; c’était un rêve sans réveil. Cependant je me rappelle avoir vu avec beaucoup de tremblement un jeune peintre, nommé Taboral, qui venait parfois chez mon père ; il avait peut-être vingt ans, une voix douce, une figure sensible, rougissante comme une jeune fille. Lorsque je l’entendais dans l’atelier, j’avais toujours un crayon ou autre chose à y aller chercher ; mais, comme sa présence m’embarrassait autant qu’elle m’était agréable, je ressortais plus vite que je n’étais entrée, avec un battement de cœur et un tremblement que j’allais cacher dans mon petit cabinet. »

Bien que sa mère fût très-pieuse, elle n’interdisait aucune de ces lectures à sa fille. Elle voulait lui inspirer la religion et non la lui commander ; pleine de bon sens et de