Dans l’union qu’ils méditaient, et qui ressemblait moins à l’amour qu’aux associations antiques des jours de Socrate et de Platon, l’un cherchait un disciple plus qu’une femme, l’autre épousait un maître plus qu’un mari. M. Roland retourna à Amiens. Il écrivit de là au père pour lui demander la main de sa fille. Celui-ci refusa sèchement. Il craignait dans M. Roland, dont l’austérité lui répugnait, un censeur pour lui, un tyran pour sa fille. Informée de ce refus par son père, celle-ci s’indigna et se retira dans un couvent, dénuée de tout. Elle y vécut des aliments les plus grossiers, qu’elle préparait de ses mains. Elle s’y plongea dans l’étude, elle y fortifia son cœur contre l’adversité. Elle se vengea à mériter le bonheur du sort qui ne le lui accordait pas. Le soir, une visite d’un de ses amis ; le jour, une heure de promenade dans un jardin entouré de hautes murailles ; ce sentiment de force qui fait qu’on se roidit contre le sort ; cette mélancolie qui attendrit l’âme sur elle-même et la nourrit de sa propre sensibilité, l’aidèrent à passer les longs mois d’hiver de sa captivité volontaire.
Un sentiment d’amertume intérieure empoisonnait cependant pour elle jusqu’à son sacrifice. Elle se disait que ce sentiment n’était pas récompensé : elle s’était flattée que M. Roland, en apprenant sa résolution et sa retraite, serait accouru pour l’arracher à son couvent et confondre leur destinée. Le temps s’écoulait, Roland ne venait pas, il écrivait à peine. Il vint enfin après six mois. Il s’enflamma de nouveau en revoyant son amie derrière une grille ; il se détermina à lui offrir sa main, elle l’accepta. Mais tant de calculs, d’hésitation, de froideur, avaient enlevé le peu d’illusion qui pouvait rester à la jeune recluse et réduit les sentiments à une sévère estime. Elle se dévoua plutôt qu’elle