Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/443

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perdrait inévitablement la Révolution et anéantirait cette république prématurée dont lui parlaient les Girondins, mais que lui-même il ne se définissait pas encore. Si la guerre est malheureuse, pensait-il, l’Europe étouffera sans peine, sous les pas de ses armées, les premiers germes de ce gouvernement nouveau, qui aura bien quelques martyrs pour le confesser, mais qui n’aura pas de sol pour renaître. Si elle est heureuse, l’esprit militaire, toujours complice de l’esprit d’aristocratie ; l’honneur, cette religion qui attache le soldat au trône ; la discipline, ce despotisme de la gloire, prendront la place des mâles vertus auxquelles l’exercice de la constitution aurait accoutumé le peuple ; ce peuple pardonnera tout, même la servitude, à ceux qui l’auront sauvé. La reconnaissance d’une nation pour les chefs qui ont conduit ses enfants à la victoire est un piége où les peuples se prendront toujours. Ils iront eux-mêmes au-devant du joug. Les vertus civiles pâliront devant l’éclat des exploits militaires. Ou l’armée reviendra entourer l’ancienne royauté de sa force, et la France aura un Monk ; ou l’armée couronnera le plus heureux des généraux, et la liberté aura un Cromwell. Dans les deux hypothèses, la Révolution échappe au peuple et tombe à la merci d’un soldat. La sauver de la guerre, c’est donc la sauver d’un piége. Ces réflexions le décidèrent. Il n’y avait pas encore de violence dans ses pensées. Il voyait loin, et il voyait juste.

Ce fut là l’origine de sa rupture avec les Girondins. Leur justice, à eux, c’était la politique. La guerre leur paraissait politique. Juste ou non, ils la voulaient comme un instrument de ruine pour le trône, de grandeur pour eux. On voit si dans cette grande querelle les premiers torts furent du côté du démocrate ou du côté des ambitieux. Ce combat