de la cendre de l’incendie. Les cadavres des blancs, groupés en hideux trophées de troncs, de têtes, de membres d’hommes, de femmes et d’enfants assassinés, marquent seuls la place des riches demeures où ils régnaient la veille. C’était la revanche de l’esclavage. Toute tyrannie a d’horribles revers.
Les blancs avertis à temps de l’insurrection par la généreuse indiscrétion des noirs, ou protégés dans leur fuite par les forêts et par la nuit, s’étaient réfugiés dans la ville du Cap. D’autres, enfouis avec leurs femmes et leurs enfants dans des cavernes, y furent nourris au péril de leur vie par leurs esclaves fidèles. L’armée des noirs grossit sous les murs du Cap. Ils s’y disciplinèrent à l’abri d’un camp fortifié. Des fusils et des canons leur arrivèrent par les soins d’auxiliaires invisibles. Les uns accusaient les Anglais, d’autres les Espagnols, d’autres enfin les amis des noirs, de cette complicité avec l’insurrection. Mais les Espagnols étaient en paix avec la France. La révolte des noirs ne les menaçait pas moins que nous. Les Anglais possédaient eux-mêmes trois fois plus d’esclaves que la France. Le principe de l’insurrection, exalté par le triomphe et se propageant chez eux, aurait ruiné leurs établissements et compromis la vie même de leurs colons. Ces soupçons étaient absurdes. Il n’y avait de coupable que la liberté même, qu’on n’opprime pas impunément dans une partie de l’espèce humaine. Elle avait des complices dans le cœur même des Français.
La mollesse des résolutions de l’Assemblée à la réception de ces nouvelles le prouva. M. Bertrand de Molleville, ministre de la marine, ordonna à l’instant le départ de six mille hommes de renfort pour Saint-Domingue.