Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/115

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plus courte en haut, pour faire une croix qui fût vue de loin par les bergers et par les chasseurs, au-dessus des neiges. Ils amoncelèrent de la terre en forme de chemin, depuis les roches que vous voyez là-haut jusqu’au niveau du sommet du tronc de la croix. Alors ils firent glisser sur ce chemin artificiel la seconde pierre, et de même pour la troisième. Puis ils démolirent la chaussée de terre qui leur avait servi d’échafaudage, et personne ne put comprendre après comment ces trois roches, élevées en l’air au-dessus de tout le pays, avaient pu se dresser, s’enchâsser et se tenir ainsi debout en croix toutes seules. Les habitants d’en bas, disait mon grand-père, nous méprisent pendant que nous vivons, mais nos morts auront toujours plus d’ombre qu’eux. Voilà comment ça fut fait, monsieur, et depuis ce temps deux générations de la famille se sont couchées sous l’arbre de pierre qu’elles se sont planté.

Moi. — Mais vous, Claude, si vous continuez à vivre seul ici, qui est-ce qui vous y couchera à votre tour ? Il n’y a plus de mains après vous pour vous creuser votre dernier lit.

Lui. — Oh ! que si, monsieur, il y a de bonnes