Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/171

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voilà un qui se lève matin pour mener ses chèvres à la rosée, ou bien c’est peut-être un mendiant qui aura trouvé toutes les portes des granges fermées et qui aura dormi sous les branches. Mais qu’est-ce que je devins, monsieur, quand, en approchant, je reconnus que ce n’était ni l’un ni l’autre, mais que c’était Denise, qui gardait déjà ses cabris avant que le jour fût assez fait pour que les petites bêtes pussent discerner seulement une ronce d’avec une vigne sauvage, ou un trèfle d’avec une ciguë. J’étais bien content de la voir encore une fois, toute dure de cœur que je la croyais pour moi. Eh bien, monsieur, vous en penserez ce que vous voudrez, mais j’aurais donné je ne sais quoi pour ne pas me trouver comme cela tout seul en face d’elle. Les jambes me tremblaient tellement, que je ne pouvais quasi plus ni avancer ni reculer. S’il y avait eu un autre chemin pour traverser le ravin à droite et à gauche, à coup sûr je me serais détourné pour ne pas toucher sa robe en passant, et pour ne pas entendre sa voix une fois de plus ; mais il n’y en avait pas. Il fallut me faire courage et marcher, comme si je n’avais rien entendu ou rien vu, vers l’entrée de la planche.