Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/79

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dant, n’avez-vous pas entendu parler d’hommes vivants dont la peau est morte, qui ne sentent ni le chaud ni le froid, ni l’eau ni le feu, ni les mille impressions de l’air qui font frissonner ou s’épanouir notre peau à nous ?

Lui. — Oui, les malheureux qu’on appelle les ladres dans nos montagnes.

Moi. — Eh bien, puisqu’il y a de ces hommes qui n’ont pas reçu le sens du toucher à l’extérieur, il faut croire qu’il y en a qui n’ont pas reçu le sens du raisonnement et du sentiment à l’intérieur. Ceux qui ne voient pas Dieu, s’ils existent, seraient les ladres de l’esprit.

Lui. — Dieu est trop bon pour les laisser dans cette nuit.

Moi. — Comment savez-vous que Dieu est bon ?

Lui. — Parce que nous aimons ce qui est bon, et que, si Dieu n’était pas bon, nous ne pourrions pas nous empêcher de le haïr. Or, je vous demande un peu à vous, monsieur, qui paraissez bien mieux entendre ça que moi, qu’est-ce que serait une création où la