Page:Lamartine - Le tailleur de pierres de Saint-Point, ed Lecou, Furne, Pagnerre, 1851.djvu/82

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Moi. — Et comment cela ?

Lui. — Il m’a créé.

Moi. — Mais cela ne lui a rien coûté.

Lui. — Cela lui a coûté une pensée, une pensée du bon Dieu, monsieur. Y avons-nous jamais assez réfléchi ? Quant à moi, j’y réfléchis souvent, et je deviens fier comme un Dieu dans mon humilité, grand comme le monde dans ma petitesse ! Une pensée du bon Dieu ! Mais cela vaut autant que s’il m’avait donné tout l’univers. Car enfin monsieur, bien que je sois peu de chose, pour me créer il a fallu d’abord qu’il pensât à moi, qui n’existais pas encore, qu’il me vît de loin, qu’il m’enfantât d’avance, qu’il me réservât mon petit espace, mon petit moment, mon petit poids, mon petit rôle, ma naissance, ma vie, ma mort, et, je le sens, monsieur, mon immortalité. Quoi n’est-ce donc rien que cela, monsieur, avoir occupé la pensée de Dieu, et l’avoir occupée assez pour qu’il daignât vous créer… Ah ! je vous le répète, rien que ça, monsieur, rien que ça, quand j’y pense, cela me fond d’amour pour le bon Dieu !