Page:Lamartine - Méditations poétiques (édition de 1820).djvu/28

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Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère.
Dans la prison des sens enchaîné sur la terre,
Esclave, il sent un cœur né pour la liberté ;
Malheureux, il aspire à la félicité ;
Il veut sonder le monde, et son œil est débile ;
Il veut aimer toujours, ce qu’il aime est fragile !
Tout mortel est semblable à l’exilé d’Éden :
Lorsque Dieu l’eut banni du céleste jardin,
Mesurant d’un regard les fatales limites,
Il s’assit en pleurant aux portes interdites.
Il entendit de loin dans le divin séjour
L’harmonieux soupir de l’éternel amour,
Les accents du bonheur, les saints concerts des anges
Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges ;
Et, s’arrachant du ciel dans un pénible effort,
Son œil avec effroi retomba sur son sort.


Malheur à qui du fond de l’exil de la vie
Entendit ces concerts d’un monde qu’il envie !
Du nectar idéal sitôt qu’elle a goûté,
La nature répugne à la réalité :
Dans le sein du possible en songe elle s’élance ;
Le réel est étroit, le possible est immense ;
L’ame avec ses désirs s’y bâtit un séjour,
Où l’on puise à jamais la science et l’amour ;
Où, dans des océans de beauté, de lumière,
L’homme, altéré toujours, toujours se désaltère ;
Et, de songes si beaux enivrants son sommeil,
Ne se reconnaît plus au moment du réveil.