Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/251

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him m’a raconté depuis : Saisi de terreur, il descendit de cheval, et chercha à distinguer le gouffre dans lequel j’avais disparu ; mais la nuit était trop obscure : le bruit seul de ma chute l’avait averti, et il ne vit rien qu’un noir abîme sous ses pieds. Alors il se prit à pleurer, et à conjurer les guides de descendre dans le précipice ; mais ils le jugèrent impraticable dans l’obscurité, assurant d’ailleurs que c’était peine inutile, puisque je devais être non-seulement mort, mais broyé par les pointes des rochers. Alors il déclara ne vouloir pas bouger de ce lieu avant que la clarté du jour permît de faire des recherches, et promit cent talaris à celui qui rapporterait mon corps, quelque mutilé qu’il fût, ne pouvant, disait-il, consentir à le laisser en proie aux bêtes féroces ; puis il s’assit aux bords du gouffre, attendant, dans un morne désespoir, les premières lueurs du jour.

Sitôt qu’il parut, les quatre hommes descendirent, non sans peine, et me trouvèrent sans connaissance, suspendu par ma ceinture, la tête en bas. La jument, morte, gisait à quelques toises plus bas, au fond du ravin. J’avais dix blessures à la tête, le bras gauche entièrement dépouillé, les côtes enfoncées, et les jambes écorchées jusqu’à l’os. Lorsqu’on me déposa aux pieds de Scheik-Ibrahim, je ne donnais aucun signe de vie. Il se jeta sur moi en pleurant ; mais, ayant des connaissances en médecine, et ne voyageant jamais sans une petite pharmacie, il ne s’abandonna pas longtemps à un chagrin stérile. Il s’assura d’abord, par des spiritueux appliqués aux narines, que je n’étais pas complétement mort, me plaça avec précaution sur un chameau, et revint sur ses pas jusqu’au village El-Habedin.