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LE SIÉGE DE PARIS.

depuis une heure de l’après-midi, un homme, un ouvrier, coiffé d’un fez rouge, jeune encore, au plus trente ans, avec de beaux traits graves, et qui, à l’exemple de certains derviches, s’entretient dans une sorte d’extase à force de chanter. Durant trois longues heures, il n’a pas cessé de reprendre et de recommencer la Marseillaise, dont il fait suivre chaque refrain du cri de : « Vive la République ! » Cet homme tient à la main un chiffon de papier, sur lequel est imprimée la Marseillaise. Il ne regarde rien, n’entend aucune apostrophe ; il chante en lisant et lit en chantant, avec sa voix toujours égale, ferme, sonore. Perché haut, il devrait avoir le vertige ; mais il plane, lui et son chant, au-dessus de la foule. Lorsque la place tout entière crie : « Vive la République ! » il s’arrête, et l’on croit qu’il va tomber. On le descend à grand’peine de son piédestal improvisé : il est presque évanoui. Les Grecs, pour peindre à quel point cet homme au fez rouge s’est identifié à son action, en eussent fait un oiseau à tête couleur de pourpre chantant au milieu des foules.