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Page:Lambton - Rapport de Lord Durham.djvu/33

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torité d’une chambre d’assemblée dans laquelle les Français auront ou même disputeront une majorité.

Ce n’est pas seulement le fonctionnement du gouvernement représentatif que les présentes dispositions des deux races mettent hors de question ; toute institution qui demande pour son efficacité la confiance dans la masse du peuple, ou la coopération de ses différentes classes, est en pratique suspendue dans le Bas-Canada. La milice dont ont dépendu jusqu’à présent la principale défense de la province contre les ennemis étrangers, et l’exécution d’un bon nombre de fonctions de police intérieure, est dans une désorganisation complète. La réunion de cette force serait dans quelques districts, l’occasion de querelles entre les races, et dans la plus grande partie du pays, essayer de l’armer ou de l’employer, serait tout simplement armer les ennemis du gouvernement. Le cours de la justice est entièrement obstrué par la même cause et on ne peut compter sur une décision juste dans aucune cause politique ; même le banc judiciaire est, dans l’opinion des deux races, divisé en deux sections hostiles de Français et d’Anglais, de l’une ni de l’autre desquelles la masse du parti hostile n’attend aucune justice. La partialité des grands et petits Jurys est une matière de certitude, chaque race compte sur les votes de ses compatriotes pour la faire échapper intacte à la justice, et le mode de récusation permet une telle exclusion du parti hostile, que le délinquant français peut s’assurer d’un Jury favorable, et l’Anglais espérer d’en avoir un, et par conséquent un verdict d’acquittement. Cet état de choses, et l’impunité qui en résulte pour les offenses politiques, sont distinctement admis des deux côtés. Le procès des meurtriers de Chartrand a placé cette disposition des Jurés français sous un jour des plus frappant ; les notes du juge en chef en cette cause ont été par moi transmises au secrétaire d’état, et leur lecture convaincra tout homme candide et bien pensant, qu’un lâche et cruel assassinat commis sans une seule circonstance provocatrice ou palliative, fut prouvé par des témoignages dont personne n’a jamais prétendu douter, contre les prisonniers, que néanmoins le Jury acquitta. La presse française avait très instamment et honteusement inculqué, avant le procès, le devoir de rendre ce verdict déshonnête ; on a dit que les Jurés avaient été tenus pendant quelque temps auparavant entre les mains de partisans zélés, chargés non-seulement d’influencer leur inclination, mais de stimuler leur courage ; le grand nombre des chefs du parti qui étaient présents au procès fut supposé avoir été rassemblé pour la môme fin ; et il est notoire que l’acquittement fut célébré à des banquets publics, auxquels les Jurés furent invités pour qu’ils fussent remerciés de leur verdict.

Mais l’influence de cette animosité n’arrête pas seulement le cours de la justice dans les affaires politiques. Un exemple de cette nature a dernièrement eu lieu à Québec. Une personne avait été indictée et poursuivie dans un terme précédent, pour une offense qui compromettait sérieusement son caractère moral, l’accusation avait été supportée par un témoin, que le jury considéra comme parjure et l’accusé fut acquitté. Ayant raison de croire que le témoin avait été suborné par un voisin,