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Moi, quand je me suis mariée avec mon pauvre Étienne, on avait juste deux cuillers pour manger notre soupe. Et pourtant, j’ai été heureuse, oui, j’ai été heureuse… »

Et la belle vieille au visage comme une pêche redresse sa longue taille finement drapée dans une robe de popeline brune. Son œil bleu brille étrangement sous son grand chapeau de paille, orné d’une fleur défraîchie. Oui, son œil brille d’une grande flamme, car, soudain, parmi les ombres du passé, elle revoit sa joyeuse jeunesse, ses jours tissés de soleil et d’amour. Elle se revoit jeune fille rieuse. Ses paupières émues s’abaissent, et son âme se recueille dans l’ivresse d’un souvenir adoré… Et son beau visage rose et duveté comme une pêche devient encore plus beau de tristesse et de bonté résignée.

L’angélus tinte lentement dans le jour calme. Les deux vieilles disparaissent.

Et je me prends à songer, malgré moi, à tout ce qui passe, à tout ce qui meurt, à toutes ces belles jeunes filles devenues de petites vieilles. Hélas ! oui, jeunesse, beauté, rêves, espoirs, amours, tout s’efface, tout fuit. Mais il est une chose qui survit dans le naufrage des ans, une chose qui croît