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vieille parlait avec exubérance, laissant déborder de son cœur toute son ambitieuse, toute sa folle tendresse. Hélas ! son beau rêve ne s’est pas réalisé ; j’en avais décidé autrement.

Deux amours se partagent l’existence des hommes de la Gaspésie : la mer et la forêt. Or, j’avais sans doute du sang de marin dans les veines ; je ne songeais qu’à naviguer. Souvent, avec des camarades, je me laissais aller au gré du vent, dans une chaloupe à voile. Cette promenade sur l’eau était la plus grande joie que je connusse. Le large m’attirait avec ses courants mystérieux, ses brouillards dorés, ses éclairs, ses ombres, ses vagues frangées d’écume… Dès lors, mon avenir fut fixé et rien ne put m’en dissuader. Les conseils, les remontrances de ma grand’mère, les dangers des flots, qu’elle me fit voir sous toutes leurs faces, les larmes qu’elle versait abondamment chaque fois que je parlais de mon dessein, rien ne put me détourner de ce funeste projet. Ô douloureux, ô cruels souvenirs ! Encore aujourd’hui, après tant d’années, ils sont dans mon âme comme un fer chaud dans une plaie vive !

Je partis donc, je partis la nuit pour ne