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— Oh ma foi ! avec un mille piastres (5 000 frs. d’avant-guerre) je pense que vous seriez en assez bonnes conditions de partance. Mais la difficulté n’est pas là ! J’ai visité, moi-même, le Nord-Ouest et étudié attentivement ses moyens de réussite : la terre est bonne, la saison de chaleur suffisamment longue pour la maturation du grain, les pâturages excellents ; seule la mentalité moderne à base de bien-être est l’obstacle ! — Pour réussir dans ces pays neufs, Monsieur, l’homme doit se replacer dans la condition primitive de l’humanité, faire provisoirement litière de ses aises et reprendre virilement la lutte contre la Nature ce véritable « struggle for life » qui n’a rien de commun avec la formule alambiquée de nos intellectuels darwiniens, lesquels d’ailleurs n’ont jamais vu la vie qu’à travers les vitres de leur cabinet de travail. Il ne s’agit pas de rêvasseries ici ! Malgré votre incompétence agricole, je vous garantis personnellement la prospérité dans une existence absolument indépendante. Si, faisant effort sur vous-même, vous consentez pour un temps à « faire abnégation ». Tout est là. J’en trouve une preuve dans la réussite générale des individus de l’Europe Centrale : Galiciens, Hongrois, Ruthènes, Bukoviniens, Doukhobors, etc., gens habitués à vivre de peu, et de vos Auvergnats et Bretons qui, quoique fils de France, ignorent pour beaucoup les exigences de sa civilisation raffinée.

« Toute cette tirade avait été débitée avec une énergie soudaine, et un accent de franchise qui ne sentaient pas le prospectus de colonisation : je fus émerveillé. Aussi, revenant à l’employé qui, pendant notre entretien, s’était discrètement effacé :

— C’est bon, lui dis-je, donnez-moi aussi de vos imprimés, je veux voir ça !

« De retour à la maison, je vous laisse à penser la belle sarabande que se mirent à danser nos cervelles imaginatives en lisant cette alléchante littérature ! Pour deux pauvres