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les, l’impression que nous fait la chute successive des combattants : ces êtres qui luttaient si énergiquement font pitié immense lorsqu’ils croulent enfin accablés ? Eh bien ! nous eûmes sensation aussi poignante à voir de loin ce pauvre corps, secoué longtemps comme épave en tempête, tomber finalement le long de cette voiture lourdement chargée.

« Heureusement, y avait-il en ces temps de misère une providence pour les malheureux colons ! Mme R… dans sa chute, avait eu la présence d’esprit de se rejeter de côté, et la chance que ce mouvement put s’effectuer assez efficacement, puisqu’elle n’eut d’écrasé que le talon d’une de ses chaussures, mais elle était pâle comme la mort lorsqu’elle se releva, et nous n’étions pas beaucoup moins émus qu’elle.

« L’accident cependant fut sans suites. Après une courte halte pendant laquelle j’arrangeai la charge de notre compagne de route, lui établissant un siège plus commode et de toute sûreté, elle remonta au wagon avec ma femme comme compagnie. Le retour s’effectua assez vite et nous rentrâmes avant minuit. Quant aux événements du voyage, il n’en fut plus questions ; probablement furent-ils considérés par nos gens comme simples faits divers.

« De fait, on s’accoutume à tout en ce pays et, moi-même depuis, j’ai couru bien d’autres risques, forcé par nécessité de travailler avec de jeunes chevaux mal domptés qui s’emballait sur les machines agricoles. Mais le fermier de l’Ouest doit quelquefois — un peu comme le marin ou le mineur — risquer sa vie pour la gagner, et à la longue il se bronze : d’ailleurs, n’y a-t-il pas une destinée pour chacun ?

« Octobre était venu, et l’hiver ne paraissait pas, ce terrible hiver canadien dont nous avions par avance la terreur, ne l’ayant pas encore abordé, qu’allait-il être ?