Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/103

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clure qu’il eût consenti à payer 20.000 francs les deux objets réunis. Et ce qui empêche qu’on puisse le faire, c’est précisément que l’appréciation de l’utilité d’un bien varie avec la fortune de celui qui désire ce bien. Notre individu aurait pu payer un cheval 10.000 francs ? c’est parce que ses tableaux lui ont coûté, nous supposerons, 1.000 francs chacun ; il aurait pu payer un tableau 10.000 francs ? c’est parce qu’il a payé 1.000 francs ses chevaux. Mais s’il avait du payer 10.000 francs son premier cheval, il ne lui serait plus resté, pour satisfaire ses autres besoins, qu’une somme moindre que celle dont il s’est trouvé disposer.

4. L’utilité de l’argent.

43. La décroissance de l’utilité de l’argent. — Il a été parlé, dans les paragraphes précédents, de la loi de l’utilité décroissante en tant, qu’elle s’applique aux biens ordinaires. La même loi s’applique aussi à l’argent, lequel, comme on le sait, est un bien d’une espèce tout à fuit parti culière, qui doit son utilité à ce qu’il sert à acquérir tous les autres biens.

Toutefois, appliquée à l’argent, ou comme l’on dit à la richesse, la loi de l’utilité décroissante a un autre fondement que lorsqu’on l’applique à tel ou tel bien spécifique. L’utilité des biens spécifiques décroît, quand la quantité en augmente, parce qu’ainsi le veut la nature même de nos be soins. L’argent, lui, permet de satisfaire tous nos besoins. Pourquoi donc des sommes égales d’argent que nous nous procurerons successivement nous apporteront-elles des quantités de bien-être toujours moindres ? C’est pour cette raison toute simple que lorsque nous avons de l’argent à dépenser, nous l’employons à acquérir ces biens qui doivent nous élue le plus utiles.

La loi de la décroissance de l’utilité, dans son application à la richesse, a été énoncée pour la première fois par Daniel Bernouilli[1]. Celui-ci a eu le tort toutefois de lui donner une formulation trop rigoureuse en disant que l’augmentation de bonheur due à une augmentation de la richesse était, en général, inversement proportionnelle à la richesse déjà possédée ; et c’est un tort d’Effertz d’avoir utilisé sans faire assez de réserves la formule

  1. Spécimen theoriae novae de mensura sortis ; une traduction allemande de cet essai a été publiée par Brentano et Leser, dans leur Sammlung staatswissenschaft — Eicher Schriften (Leipzig, Duncker et Humblot, 1896). Voir encore Buffon, Essai d’arithmétique morale. Laplace, dans sa Théorie analytique des probabilités (1812), distingue entre la « fortune physique » et la « fortune morale ». On trouvera des indications historiques et bibliographiques sur ce point chez Pantaleoni, Prinicipii di economia pura, I, 4, § 3, et chez Effertz, Antagonismes économiques, première partie, chap. 1, I, § 4.