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cette partie qui correspond au capital constitué et à l’accroissement de notre avoir qui résultera plus tard de sa récupération : c’est ce qui explique que la capitalisation soit très difficile à ceux dont les revenus sont petits, impossible à ceux qui n’ont que l’indispensable.

Le fait que nous venons d’indiquer — et qui n’a été mis en lumière que depuis peu d’années[1] — pourrait être appelé le fait du sacrifice capitalistique. Il constitue à coup sûr la plus importante des raisons pour les quelles le capital exige un intérêt.

Une autre application du principe de l’équilibre de la consommation dans la durée est celle qui se rapporte au jeu. On a bien souvent montré certains dangers des jeux de hasard. Ils nous prennent du temps, ils sont mauvais pour la santé et exercent une influence pernicieuse sur le caractère et les mœurs. Très souvent, un prélèvement est opéré sur les mises, ou bien l’adversaire contre qui nous jouons se réserve un plus grand nombre de chances que celles qui nous sont laissées, en sorte que la partie n’est pas égale pour nous. Quand nous jouons contre de certaines maisons, nous avons le désavantage d’être moins riches, ce qui nous empêche de tenir le jeu, lorsque nous perdons, aussi longtemps qu’elles. Et nous avons aussi le désavantage de manquer de sang-froid, ce qui nous empêche de nous arrêter quand nous gagnons. Mais ce n’est pas là tout. Le joueur même dont les gains et les pertes, à la longue, se balanceraient, aurait en réalité subi un dommage, un dommage d’autant plus sérieux que les différences, dans un sens et dans l’autre, auraient été plus fortes ; à moins toutefois que notre joueur n’eût été assez sage pour mettre toujours ses gains de côté et les employer à boucher ses pertes. Car à dépenser tantôt plus que son revenu normal, tantôt moins, on ne se procure pas, comme il a été vu, le même bien-être qu’à dépenser ce revenu régulièrement[2].

  1. Böhm-Bawerk (Positive Théorie des Capitales, liv. III, v, iii, pp. 441-442) a parlé en d’excellents termes du principe de la « satisfaction harmonique » des besoins, dans un moment donné et dans la succession des moments du temps. Mais il n’a pas tiré de ce principe tout ce qu’il peut fournir de lumière pour l’éclaircissement du problème de l’intérêt (voir notamment le passage cité plus haut, pp. 262-266). Il a parlé de la capitalisation en tant qu’elle aggrave, dans certains cas, le défaut d’équilibre de la consommation ; il n’a pas montré qu’elle pouvait créer le défaut d’équilibre. Cette grande vérité a été exposée et utilisée, pour la première fois à notre connaissance, par Carver, dans son remarquable article The place of abstinence in the theory of interest (Quarterly journal of economics, VIII, oct. 1893).
  2. Cf. Marshall, Principles, liv. III, chap. 6, § 6, note (trad. fr., t. 1), et Appendice, note IX.
    Pour bien apprécier le jeu, il faudrait faire entrer en ligne de compte, encore, les émotions qu’il procure à ceux qui s’y livrent.