Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/148

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raîtra qu’il est nécessaire d’étendre le concept de production beaucoup plus que ne veulent les auteurs à qui nous faisions allusion. Le médecin à qui on demande des consultations, l’avocat qui se charge de plaider nos affaires devront être regardés comme jouant un rôle dans la production, comme étant des producteurs, puisqu’ils nous fournissent des services, lesquels sont des biens. Le commerçant sera un producteur aussi : lui aussi, en effet, il nous fournit des services, puisqu’il nous dispense d’aller chercher chez le fabricant les objets dont nous nous approvisionnons chez lui[1].

La conception de la production que nous venons de présenter n’est pas la seule que l’on rencontre dans la littérature économique. Il en est une autre que l’on rencontre souvent aussi — à la vérité, sous des formes très diverses — : elle consiste à définir la production à l’aide de la considération de tels ou tels intérêts regardés comme supérieurs.

Certains partisans de la doctrine mercantile, se plaçant au point de vue national, et comprenant d’une certaine façon l’intérêt de la nation, réservaient le nom de productifs à ces travaux qui alimentent le commerce d’exportation, au commerce d’exportation lui-même et à cette industrie qui s’emploie à extraire de la terre les métaux précieux. Plus tard, les physiocrates, qui eux n’opposaient pas l’intérêt national à l’intérêt social, appelèrent productive la seule industrie agricole, et déclarèrent les autres industries « improductives » ou « stériles ». Ils n’entendaient pas dire que ces industries « stériles » fussent inutiles ; ils voulaient affirmer du moins cette thèse — d’ailleurs fausse — que seuls les travaux de l’agriculture donnent un « produit net »[2].

Aujourd’hui encore, des limitations analogues du sens du mot « production » sont très fréquentes. Si le langage usuel, si beaucoup d’auteurs, comme il a été dit tantôt, réservent le nom de production à ces opérations qui « créent » des biens matériels, ce n’est pas seulement parce qu’ils y sont conduits par l’étymologie du mot, et parce que notre attention se fixe plus facilement sur une réalité matérielle que sur une réalité immatérielle comme l’utilité ou la valeur d’usage ; c’est aussi parce qu’on est porté à regarder la « création » des biens matériels comme seule utile, ou comme plus utile que le commerce, etc. On donne, d’autre part, le nom de productifs aux travaux qui « créent » des biens de première nécessité, cependant que ces travaux seront dits improductifs qui servent à satisfaire des besoins de luxe. L’on n’applique d’ailleurs pas toujours très justement ce principe de distinction : les services domestiques, par exemple, que certains tiennent pour improductifs pour la raison qui vient d’être indiquée,

  1. Cf. Gide, Principes, liv. I, Ire partie, chap. 2, iii.
  2. Cf. encore la distinction des travaux « productifs » et des travaux « improductifs » qu’établit Smith (Richesse des nations, II, 3).