Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/433

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dont nous nous sommes déjà servi ci-dessus — la valeur des biens, et que ce besoin ait accéléré le processus de formation de la monnaie[1].

Représentons-nous les hommes qui commencent à pratiquer l’échange. L’intérêt les poussera sans doute, d’une part, à tout mettre en œuvre pour obtenir le plus possible en cédant le moins possible. Mais d’autre part, ils auront du mal à comprendre le caractère subjectif et relatif, éminemment variable, par conséquent, de la valeur ; la tendance objectiviste de leur esprit — cette tendance est particulièrement forte chez les hommes primitifs — les incitera à incorporer, en quelque sorte, la valeur dans les choses, et à la fixer. À cette tendance, ils obéiront d’autant mieux que cela s’accordera davantage avec leur intérêt ; mais ils y obéiront dans une certaine mesure même quand, par là, ils abandonneront cet intérêt. Et pour fixer la valeur des choses — les considérations que nous avons exposées tantôt le feront comprendre —, ils seront conduits à rapporter toutes les valeurs à une commune mesure, laquelle sera fournie par le rudiment de monnaie qui existe dans leur société. Dans l’Iliade, en divers passages, la valeur des biens est exprimée en bœufs[2]. Il est à croire qu’à l’époque où ce poème a été composé, bien des trocs ont été opérés où le quantum des biens échangés était déterminé, non par les utilités que les échangistes pouvaient trouver, respectivement, à ces biens, mais par une évaluation préalable des dits biens en cette marchandise qui servait alors de monnaie, c’est-à-dire en bœufs.

231. La monnaie comme agent de mobilisation de la valeur. — Les objets que l’on emploie comme monnaie peuvent, plus facilement que la plupart des autres biens, être transportés à travers l’espace, et être transportés — si l’on peut ainsi dire — à travers le temps ; et leur valeur ne varie que peu d’un endroit à l’autre, d’un moment à l’autre de la durée. Il suit de là que la monnaie rend mobiles, en quelque sorte, des richesses qui, de leur nature, sont attachées à un lieu déterminé et à un moment déterminé du temps. Un individu possède une terre ? la vendant, il pourra en emporter la valeur où il lui plaira. Certains biens sont périssables : les échangeant contre de l’argent, on se mettra en mesure d’en conserver la valeur aussi longtemps qu’on voudra. De toutes les façons, la monnaie est un bien, voudrait-on dire, moins concret que les autres : il est très peu assujetti à ces conditions par lesquelles l’usage des autres biens, ou de la généralité d’entre eux, est limité. Mais c’est surtout en tant qu’elle rend possible, ou qu’elle facilite l’emmagasinement de la valeur pour la durée que la monnaie est utile : l’épargne, la capitalisation reçoivent, par là, une impulsion dont on ne saurait exagérer l’importance.

  1. D’après Laughlin (Principles of money, chap. 1, § 3), la monnaie aurait même servi de mesure de la valeur avant de servir d’intermédiaire des échanges.
  2. Cf. Jevons, La monnaie, chap. 4.