Page:Landry, Principes de morale rationnelle, 1906.djvu/47

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pourraient-ils être l’objet d’une connaissance proprement théorique, comment pourrait-on en démontrer la vérité ? La théorie s’applique à ce qui est donné, elle est une explication des faits ; une doctrine morale, c’est un idéal qu’on nous présente, qu’on nous invite à réaliser ; et ainsi, parler de la vérité d’une doctrine morale, comme on parle de la vérité d’une théorie scientifique, c’est tomber dans une sorte de contradiction. Essaiera-t-on d’échapper à cette contradiction en plaçant à côté des sciences au sens étroit du mot — à côté des sciences spéculatives — des sciences normatives, et en faisant de la morale une de ces sciences normatives ? Mais il n’y a pas à vrai dire de science normative ; parler de sciences normatives, c’est confondre deux moments qui ne peuvent être que successifs, c’est mêler ensemble la science, qui est la connaissance des faits, et les applications pratiques que l’on tire de cette science quand elle est assez avancée[1].

Ainsi raisonne-t-on ; et il est clair que de tels raisonnements, s’ils étaient justes, ne laisseraient plus aucune place pour la morale. La pratique demeurerait alors suspendue en quelque sorte dans le vide, ou elle serait guidée par des croyances qui n’auraient rien de rationnel, par une sorte de foi morale. Mais la constatation de cette conséquence nous met en défiance contre la doctrine que nous examinons. Le besoin moral existe ; notre caractère d’êtres réfléchis et raisonnables veut que nous nous efforcions de le satisfaire : nous faudrait-il renoncer à lui donner aucune satisfaction ? Cette remarque, toutefois, ne constitue pas une réfu-

  1. Lévy-Bruhl, 1, § 2, pp. 11-12.