Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/111

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et surtout l’Apollon de Delphes (44). Ces tendances s’accommodaient jusqu’à un certain point des conceptions religieuses de Socrate ; et l’on peut se demander si l’étrange réponse de l’oracle de Delphes, proclamant Socrate le plus sages des Hellènes, n’était pas une approbation secrète de son rationalisme croyant. L’habitude de ce philosophe de discuter publiquement les questions les plus épineuses, dans le but avoué d’agir sur ses concitoyens, permettait très-facilement de le dénoncer au peuple comme un ennemi de la religion. La gravité religieuse de ce grand homme caractérise toute sa conduite, pendant sa vie comme aux approches de sa mort, au point de donner à sa personnalité une importance presque supérieure à celle de sa doctrine, et de transformer ses élèves en disciples, désireux de propager au loin le feu de son enthousiasme sublime. En bravant, comme prytane, les passions du peuple soulevé, en refusant d’obéir au trente tyrans (45) pour rester fidèle au sentiment du devoir, en dédaignant, par respect pour la loi, de fuir après sa condamnation pour attendre tranquillement la mort, Socrate prouva d’une façon éclatante que sa vie et sa doctrine étaient indissolublement unies.

On a cru, dans ces derniers temps, devoir expliquer l’importance philosophique de Socrate en disant qu’il ne s’était pas borné au rôle de moraliste, mais que, par la nouveauté de certaines de ses théories, il avait contribué efficacement au développement de la philosophie. À cela il n’y a rien à objecter : nous désirons seulement montrer que toutes ces nouveautés, avec leurs qualités et leurs défauts, ont leurs racines dans les idées théologiques et morales qui guidèrent Socrate dans toute sa conduite.

On se demandera peut-être comment Socrate, qui renonçait à méditer sur l’essence des choses, en arriva à faire de l’homme, considéré comme être moral, l’objet principal de sa philosophie. À cette question, lui-même et ses disciples répondront que, dans sa jeunesse, lui aussi s’était occupé