Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/203

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voit que l’antique vertu républicaine, que l’amour du gouvernement libre ont disparu. Louer l’obéissante passive équivaut à nier l’État comme société morale.

C’est à tort que l’on a étroitement associé cet individualisme exclusif à la conception atomistique du monde. Même les stoïciens qui, préoccupés de morale pratique, touchaient ordinairement à la politique, finirent, surtout dans les derniers temps, par s’éloigner systématiquement de toute participation aux affaires publiques. À son tour, la solidarité entre philosophes, si vantée par les stoïciens, était dignement représentée chez les épicuriens par l’intimité de leurs relations amicales.

Les causes qui poussèrent la philosophie ancienne vers le quiétisme politique furent plutôt l’extinction de cette ardeur juvénile qui avait porté les peuples à constituer des États, la disparition de la liberté, la situation désespérée et, en quelque sorte, la décomposition de l’organisme politique.

Lucrèce fait dériver la religion de sources primitivement pures. Pendant la veille et plus encore pendant le sommeil, les hommes voyaient en imagination les formes majestueuses et puissantes des dieux, et ils attribuaient à ces êtres fantastiques la vie, le sentiment et des forces surhumaines. Ils observaient en même temps le cours régulier des saisons, comme du lever et du coucher des astres. Ne connaissant pas les causes de ces phénomènes, ils placèrent les divinités dans les cieux, séjour de la lumière et, outre les autres phénomènes célestes, ils attribuèrent encore aux dieux les orages, la grêle, la Foudre et le bruit menaçant du tonnerre.


O genus infelix humanum, talia divis
Cum tribuit facta atque iras adjunxit acerbas !
Quantos tum gemitus ipsi sibi, quantaque nobis
Vulnera, quas lacrimas peperere minoribu’nostris ! (75)[1]


  1. « Ô malheureux humains d’avoir attribué de pareils actes aux dieux et de leur avoir prêté de terribles colères ! Que de gémissements