Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/102

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des preuves de la vérité et de la réalité des choses. Mais par là s’accroît aussi l’importance subjective du sensible. Si la base de la métaphysique se trouve dans les sensations, elles doivent aussi, dans le domaine psychologique, être la véritable substance de tout ce qui est spirituel.

« L’ancienne philosophie absolue s’est bornée à repousser les sens sur le terrain du phénomène, du fini ; et cependant, se contredisant sur ce point, elle a indiqué l’absolu, le divin comme l’objet de l’art. Mais l’objet de l’art est l’objet de la vue, de l’ouïe, du toucher. Ainsi non-seulement le fini, le phénomène, mais encore l’être vrai, divin sont l’objet des sens — le sens est l’organe de l’absolu. »

« Nous sentons non-seulement la pierre et le bois, non-seulement la chair et les os ; nous sentons aussi les sentiments, quand nous pressons les mains ou les lèvres d’un être sensible ; nous percevons par les oreilles non-seulement le bruit de l’eau et le frémissement des feuilles, mais encore la voix pleine d’âme de l’amour et de la sagesse ; nous voyons non-seulement les surfaces de miroirs et les spectres colorés, mais encore nous contemplons le regard de l’homme. Ainsi non-seulement l’extérieur, mais encore l’intérieur ; non-seulement la chair, mais encore l’esprit ; non-seulement la chose, mais encore le moi sont l’objet des sens. — Tout est donc perceptible par les sens, quoique médiatement et non immédiatement, sinon avec les sens grossiers du vulgaire, du moins avec les sens perfectionnés par l’éducation ; sinon avec les yeux de l’anatomiste ou du chimiste, du moins avec ceux du philosophe » (53).

Mais les « sens perfectionnés par l’éducation », les « yeux du philosophe » sont-ils en vérité autre chose que les sens combinés avec l’influence d’idées acquises ? On doit accorder à Feuerbach que ce concours ne peut pas être réputé aussi simplement mécanique que la somme de deux fonctions, dont l’une serait sensorielle et l’autre intellectuelle. En effet avec le développement intellectuel les sens s’habituent