Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le ressort des recherches empiriques, lesquelles s’appuient toujours sur l’expérience, et regardent les axiomes comme des données indiscutables. Kant laisse donc tout le contenu de la pensée concernant la science de la nature, à sa place et dans sa dignité, comme le grand et unique moyen d’étendre nos expériences sur le monde donné par les sens, de les coordonner, et de nous faire ainsi comprendre ce monde dans l’enchaînement des causes de tous les phénomènes. Ferait-on bien, par conséquent, alors qu’un pareil homme ne se contente néanmoins pas de la conception physique et mécanique de l’univers, alors qu’il affirme que la question n’est pas vidée par là, que nous devons aussi tenir compte du monde de nos idées, et que ni le monde des phénomènes ni celui des idées ne peuvent être pris pour la nature absolue des choses, — ferait-on bien de passer outre avec indifférence ou d’ignorer toutes ces affirmations, sous prétexte que nous n’éprouvons pas le besoin de recherches plus longues et plus approfondies ?

Si d’aventure le spécialiste craignait, en poursuivant de semblables idées, de trop s’écarter de l’objet de ses études, et si, par suite, il préférait se contenter, sur ce terrain, de quelques vagues notions, ou s’éloigner de la philosophie comme d’un domaine qui lui est étranger, il n’y aurait pas grande objection à lui faire. Mais celui qui, à la manière de nos matérialistes, se pose en « philosophe » et se croit même appelé à faire époque comme réformateur de la philosophie, ne pourra guère laisser de côté ces questions. Les examiner complètement, est pour le matérialiste le seul moyen de conquérir une place durable dans l’histoire de la philosophie. Sans ce travail intellectuel, le matérialisme, qui ne fait d’ailleurs qu’exprimer, en termes nouveaux, de vieilles idées, n’est qu’un bélier d’assaut dans la lutte contre les idées les plus grossières de la tradition religieuse et un symptôme significatif de la fermentation profonde des esprits (2).