Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/172

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par conséquent lui-même est capable de tous les mouvements de l’âme que ses formules mathématiques expriment. Pourra-t-il donc s’abstenir de transporter ses propres sensations dans ce qu’il voit extérieurement devant lui ? C’est d’ailleurs ce que nous faisons, quand nous remarquons, chez les autres hommes, de l’envie, de la colère, de la reconnaissance ou de l’amour. Nous n’apercevons comme lui que les gestes et nous les interprétons d’après notre for intérieur. Il est vrai que ce génie calculateur n’a que ses formules, tandis que nous possédons l’intuition immédiate. Mais nous n’avons qu’à lui prêter un peu d’imagination, une imagination éminemment intelligente, telle que nous la possédons aussi, et il saura bien transformer les formules en intuitions.

Sans doute, les formules seules ont maintenant un langage pour lui, car elles lui expriment les apparences extérieures, que nous aussi connaissons par la vie quotidienne ; mais, s’il discerne parfaitement la connexion causale du phénomène extérieur avec le mouvement des atomes du cerveau, il lira bientôt dans ce mouvement leurs causes et conséquences ; dès lors il comprendra « les gestes » de ces atomes par leur influence sur les gestes extérieurs des hommes tout aussi bien que par exemple l’employé du télégraphe, après un peu d’exercice, entend immédiatement les dépêches d’après le bruit régulier de sa manivelle, sans avoir besoin de lire les signes imprimés sur le papier.

Sans doute, si ce génie possédait, outre les autres qualités humaines élevées graduellement à un plus haut point, la sagacité critique considérablement développée, il comprendrait sans peine qu’il ne perçoit pas la vie intellectuelle par la voie de la connaissance objective, pas plus dans la vie quotidienne que dans la science, mais qu’il transporte, tantôt dans ses formules, tantôt dans ses intuitions, ce qu’il a puisé dans sa propre expérience. Il avouerait aussi, volontiers, qu’il ne lui est pas donné une