Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ciel, on ne voyait que des « sauvages » ou d’inoffensifs enfants de la nature, on trouve aujourd’hui les preuves d’une histoire, d’une civilisation vieille et raffinée, souvent même les indices non équivoques de la décadence et de la rétrogradation. Nous voyons comment la société, même chez des peuples qui, sous d’autres rapports, sont encore à l’état de minorité enfantine, entraîne partout et de bonne heure des usages particuliers et souvent bizarres qui, malgré leur extrême diversité, se laissent pourtant déduire de principes psychologiques peu nombreux et revenant toujours. Le despotisme, l’aristocratie, la division en castes, la superstition, les impostures de prêtres (Pfaffentrug) et les cérémonies fascinatrices naissent partout et de bonne heure de la racine commune de l’essence de l’humanité ; et, dans les principes de ces abus monstrueux répandus au loin, apparaît souvent l’analogie la plus frappante entre des races qui ont à peine des vêtements et des huttes et d’autres qui possèdent des palais, d’orgueilleuses cités et quantité d’outils et d’objets d’art. L’état de nature, dont Rousseau et Schiller déploraient la disparition, ne se montre nulle part ; tout, au contraire, est nature ; mais c’est une nature qui répond aussi peu à nos aspirations idéales que la forme simienne de nos ancêtres hypothétiques répond aux conceptions idéales d’un Phidias ou d’un Raphaël. On dirait que l’homme, tandis qu’il laisse derrière lui les limites du monde animal et que, comme individu, il est élevé et ennobli par la société, doit traverser encore une fois, dans la formation de l’ensemble de la psychologie ethnographique, la condition si répugnante et si hideuse du singe, jusqu’à ce qu’enfin les germes de qualités plus nobles, lesquels reposent profondément mais sûrement en lui… mais nous n’en sommes pas encore là ! Même la culture hellénique était fondée sur le terrain pourri de l’esclavage, et la noble humanité du XVIIIe siècle n’était que la propriété de cercles étroits, qui évitaient soigneusement le contact des masses.