Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/484

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Naturellement nous ne parlons ici que de l’opinion de la masse de la classe possédante, mais qui, devenue la règle de la vie quotidienne, exerce son influence même sur ceux qui sont animés de sentiments plus nobles. Avant de pouvoir spécifier la valeur de cette dogmatique de l’égoïsme, il est indispensable d’examiner, à la lumière des principes établis dans les chapitres précédents, la source de l’égoïsme naturel et l’origine des tendances opposées.

S’il est vrai que notre propre corps ne soit qu’une de nos images de représentation, pareille à toutes les autres ; si, d’après cela, nos semblables, les autres hommes, tels que nous les voyons devant nous, font, avec toute la nature qui nous entoure, partie de notre propre essence, dans une acception très-déterminée, d’où vient l’égoïsme ? Évidemment, de ce que les représentations de douleur et de plaisir, de ce que nos penchants et nos passions se fondent, pour la plus grande partie, avec l’image de notre corps et de ses mouvements. Le corps devient ainsi le centre du monde des phénomènes, rapport qui, nous pouvons en avoir la certitude, a aussi son fondement dans la nature des choses qui sont au delà de notre connaissance.

Sans poursuivre ce fil plus loin, montrons maintenant que toutes nos représentations de plaisir et de déplaisir ne sont nullement en rapport direct avec notre corps. La joie raffinée des sens, l’amour du beau, par exemple, ne se fond pas avec l’image représentative de notre corps, mais avec celle de l’objet. C’est seulement quand je ferme les yeux, avec lesquels j’ai contemplé un magnifique paysage, que je m’aperçois des rapports que ces objets ont avec mon corps. Ce que le poëte dit de celui qui se plonge dans la contemplation, de celui qui s’absorbe dans l’intuition, est bien plus exact physiologiquement et psychologiquement que la théorie ordinaire de la projection de l’observation prétendue scientifique. Par suite, le plaisir, si décrié, des sens forme en soi un contre-poids naturel a l’absorption dans le moi, et ce n’est qu’au moyen