Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/487

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l’idéal moral d’après lequel l’homme façonne son univers. Il n’y a pas d’erreur plus grande que celle de Buckle attribuant les progrès de la civilisation au concours de deux éléments, l’un variable, l’intellectuel, l’autre invariable, le moral. Kant a dit qu’en fait de philosophie morale nous ne sommes pas plus avancés que les anciens ; il a répété à peu près les mêmes paroles à propos de la logique, et cette remarque n’a pas de rapport avec le progrès des conceptions idéales de la morale qui impriment le mouvement à des périodes entières de l’histoire. Quelle distance énorme entre l’idée antique de vertu et l’idée chrétienne ! Repousser l’injustice, supporter l’injustice ; révérer la beauté, mépriser la beauté ; servir la société et fuir la société, ne sont pas seulement des traits accidentels de tendances d’esprit divergentes malgré l’identité des principes moraux, mais des contrastes qui naissent de l’opposition très-profonde des principes de morale. Au point de vue du monde antique, le christianisme tout entier était notoirement immoral, et il l’aurait semblé bien plus encore, si l’idéal moral de l’antiquité ne se fût déjà trouvé en décomposition, au moment où se produisirent les idées nouvelles et étrangères. Une semblable décomposition de l’idéal moral, un semblable avènement d’un point de vue nouveau, supérieur, paraît se manifester à l’époque actuelle, et c’est ce qui rend plus difficile et, en même temps, plus importante l’obligation de marquer sa place à la dogmatique de l’égoïsme, telle qu’elle se présente à nous dans l’économie politique et dans les principes des relations sociales.

On pourrait croire momentanément que cette dogmatique de l’égoïsme est précisément le nouveau principe moral, destiné à remplacer les préceptes du christianisme. Le rationalisme du XVIIIe siècle, qui se contentait de faire les yeux doux au matérialisme physique, avait adopté le matérialisme moral. Le développement des intérêts matériels a grandi à mesure que l’antique pouvoir de l’Église allait en déclinant.