Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/622

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l’organisation physique est, comme phénomène, en même temps l’organisation psychique. C’est, à la vérité, dépasser Kant, mais moins qu’on ne serait tenté de le croire au premier coup d’œil, et sur un point susceptible d’être défendu avec succès, tandis qu’en même temps cette transformation apporte un concept facile à comprendre, uni à l’intuition, à la place de la représentation kantienne presque insaisissable de présuppositions transcendantes puisées dans l’expérience. Toute la différence consiste en ce que Kant remplace ce qui est entièrement insaisissable, ce qui, dans la chose en soi, sert de base au jugement synthétique a priori, par les concepts, comme quelque chose que nous pouvons atteindre et qu’il parle de ces concepts, les catégories, comme s’ils étaient l’origine de l’apriorique, tandis qu’ils en sont tout au plus l’expression la plus simple. Si nous voulons désigner la véritable cause de l’apriorique, nous ne pouvons en général parler de la « chose en soi » que n’atteint pas le concept de cause (en d’autres termes, un jugement relatif à cette cause n’a d’autre effet que de compléter le cercle de nos représentations). Il nous faut à la « chose en soi » substituer le phénomène. Le concept lui-même n’est qu’un phénomène ; mais quand on le met à la place de la cause du concept ou qu’on le considère, pour ainsi dire, comme cause dernière dans l’intérieur de ce qui constitue le phénomène, on tombe dans un platonisme qui s’éloigne bien plus dangereusement du principe fondamental de la critique que le choix du terme « organisation ». En un mot : Kant, en repoussant avec opiniâtreté et évidemment avec préméditation le concept d’organisation, par lequel lui-même doit avoir été séduit, n’échappe à la simple apparence de matérialisme que pour tomber dans un idéalisme que lui-même a repoussé dans un autre passage. Si l’on veut échapper à ce dilemme, toute la Critique de la raison se résout en une pure tautologie : la synthèse a priori a sa cause dans la synthèse a priori. Si au contraire on admet le concept d’organisation, on voit disparaître non seulement la tautologie (qui’constitue d’ailleurs l’interprétation la plus simple, quoique la plus injuste de la Critique de la raison), mais encore la nécessité de personnifier les catégories à la manière de Platon ; par contre, l’apparence du matérialisme subsiste ; mais toute interprétation logique de la partie théorique de la philosophie de Kant sera obligée d’accepter cette apparence.

Où étaient les scrupules et combien le concept d’organisation devait se rapprocher de la recherche transcendantale, voilà ce que montre le plus clairement Reinhold dans un ouvrage[1] qui, on le sait, fut une

  1. Theorie des menschlichen Vorstellungsvermögens, Prag und Jena 1789.