Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/682

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de ce que Wolff n’utilise pas le concept du sens interne. Lui-même, se rapprochant fortement de la « réflexion » de Locke, appelle, par opposition à « sensation », « représentations du sens interne » celles « que nous avons de nous-mêmes, de nos modifications internes, de nos facultés et de notre entendement

Kant paraît avoir introduit le « sens interne » par le même motif qui lui fit accorder en général aux concepts de la psychologie et de la logique traditionnelles une influence si large et si décisive sur son système il croyait en effet trouver dans le réseau de concepts ancien, et en quelque sorte éprouvé, une garantie en faveur de l’intégralité des phénomènes étudiés. Pour lui, la chose essentielle partout était non la théorie, mais la classification traditionnelle ; c’est ce qu’il prouve par la liberté et aussi par la réserve de ses définitions, qui se rattachent toujours le moins possible aux concepts traditionnels et ne visent qu’à une délimitation de la matière, exacte et ne préjugeant rien sans nécessité. — D’après Cohen[1] Kant admet le sens interne pour réfuter l’ « idéalisme matériel » précisément sur le terrain où il cherchait son appui principal, et pour enlever au dogme de la substance de l’âme son fondement essentiel. C’est ainsi que Kant déclare expressément, ou qu’il ne faut pas du tout admettre de sens interne, ou que le sujet qui en est l’objet doit être un phénomène, aussi bien que les objets du sens externe. Nous n’examinerons pas ici jusqu’à quel point Kant était déjà, d’après Cohen, sur la voie d’une saine psychologie, qui transformait les « facultés » en processus. En tout cas, l’effet immédiat de l’hypothèse du « sens interne » a été fâcheux et a conduit à l’erreur. On peut aussi affirmer encore que la déduction transcendantale du temps, en connexion avec la théorie du « sens interne », est loin d’offrir la même évidence que celle de l’espace ; qu’elle est, au contraire, exposée aux plus graves objections.

44 [page 408]. On peut ici avouer volontiers, que, dans ces derniers temps, l’observation des phénomènes que l’on appelle « internes » a fait de grands progrès et que d’utiles services ont été rendus sur ce terrain, non-seulement par des physiologistes mais encore par des hommes qui travaillent à fonder une psychologie empirique ; ainsi, par exemple par Stumpf dans sa dissertation finement exposée sur la représentation des surfaces fournie par le sens de la vue[2]. Il est toutefois aisé de constater qu’ici le procédé est absolument le même que dans l’observation externe, et que cette espèce d’ « observation de soi-

  1. Kant’s Theorie der Erfahrung, X, p. 146 et suiv.
  2. Ueber den psychologischen Ursprung der Raumvorstellung, I. Capitel, Leipzig, 1873.