Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées sauront bien se maintenir dans leur poste naturel et résister à ses attaques.

La raison, mère des idées, est, comme la comprend Kant, dirigée vers l’ensemble de toute expérience possible, tandis que l’entendement s’occupe des détails. La raison ne trouve de satisfaction dans aucune branche de nos connaissances, tant qu’elle n’a pas embrassé la totalité des choses. La raison est donc systématique, de même que l’entendement est empirique. Les idées d’âme, d’univers et de Dieu ne sont que l’expression de ces désirs d’unité impliqués par notre organisation rationnelle. Si nous leur attribuons une existence objective en dehors de nous, nous nous précipitons dans la mer, sans rivages, des erreurs métaphysiques. Mais si nous les honorons comme étant nos idées, nous ne faisons que céder à une exigence impérieuse de notre raison. Les idées ne servent pas à agrandir nos connaissances, mais bien à supprimer les assertions du matérialisme, et à faire ainsi place à la philosophie morale, que Kant regarde comme la partie la plus importante de la philosophie.

Ce qui justifie les idées, par opposition au matérialisme, ce n’est pas leur prétention à une vérité supérieure, soit démontrée, soit révélée et indémontrable ; c’est plutôt le contraire : la pleine et franche renonciation à toute valeur théorique sur le terrain de la science du monde extérieur. Les idées se distinguent des chimères tout d’abord en ce qu’elles n’apparaissent point momentanément dans tel ou tel individu, mais sont fondées sur l’organisation naturelle de l’homme (40) et ont une utilité que l’on ne saurait communément attribuer aux chimères. Si l’on pouvait démontrer péremptoirement que les idées, telles que Kant les déduit, pour le nombre et la forme, dérivent nécessairement de notre organisation naturelle, elles appuieraient leur défense sur des droits inébranlables. Si de plus l’on pouvait trouver cette organisation naturelle de l’homme à l’aide de la raison pure, sans le secours d’aucune expérience, on aurait certes