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Le Problème de la culture générale

par M. Paul Langevin
Professeur au Collège de France, Président du Congrès,
Président d’honneur du Groupe Français d’éducation nouvelle


Je dois à mes fonctions de président de ce Congrès l’honneur d’ouvrir devant vous, ce soir, la discussion sur ce problème de la culture générale dont traiteront beaucoup d’autres conférences et communications. Il est apparu, en effet, que ce problème, sous ses divers aspects, est central, non seulement au point de vue de notre thème, « L’éducation dans ses rapports avec l’évolution sociale », mais aussi au point de vue plus général des préoccupations de notre Ligue internationale d’éducation nouvelle.

Il s’agit d’un problème particulièrement difficile parce que ses données sont constamment changeantes. Toujours nouveau et jamais résolu, il exige une adaptation continuelle, un ajustement dynamique, aussi bien sous son aspect individuel que sous son aspect social.

Du côté individuel, vous savez combien notre conception de la culture générale a changé au cours du temps, et surtout récemment. On considérait il y a peu de temps encore que la culture était une parure de l’esprit, un vernis brillant et superficiel acquis dans la jeunesse pour permettre de placer à propos des observations spirituelles, des citations latines au besoin, pour réussir dans le monde grâce à une mémoire surtout verbale des grands faits de l’histoire ou des grands noms de la littérature et de l’art.

Nous avons passablement évolué à ce point de vue. Nous concevons plutôt aujourd’hui la culture générale comme une initiation aux diverses formes de l’activité humaine, aux divers moyens d’expression et d’action, non seulement pour déterminer les aptitudes de l’individu, lui permettre de choisir à bon escient avant de s’engager dans une profession, mais aussi pour lui permettre de rester en liaison avec les autres hommes, de comprendre l’intérêt et d’apprécier les résultats d’activités autres que la sienne propre, de bien situer celle-ci par rapport à l’ensemble. Déjà sous cette forme, la culture apparaît comme dynamique puisqu’elle exige, pour assurer la permanence de la liaison, une mise au courant continue et réciproque entre les représentants des activités diverses.

Nous pouvons donc dire que la culture générale représente ce qui rapproche et unit les hommes, tandis que la profession représente trop souvent ce qui les sépare.

Cette conception peut aider à résoudre le difficile problème de l’équilibre à établir, dans l’enseignement, entre la culture générale et la formation professionnelle, qui peuvent et doivent d’ailleurs bénéficier l’une de l’autre, tout en conservant leur indépendance puisqu’elles correspondent à des aspects nettement différents, sinon opposés, de la formation de l’esprit et de la préparation à la vie.

J’insiste encore une fois sur cette idée que la culture présente, du point de vue individuel, un caractère dynamique en ce sens qu’elle représente et exige, pour chaque être humain, la possibilité de continuer à s’instruire. Ce qu’en reçoit l’enfant est une préparation, une initiation destinée à lui permettre de rester en contact avec tout le progrès humain.

La culture est également dynamique au point de vue social puisque, comprise dans ce sens, elle permet à l’individu de s’insérer le plus efficacement et le plus largement possible dans l’organisme collectif, de participer le plus complètement possible, à la fois dans l’espace et dans le temps, à la vie matérielle et surtout spirituelle de l’humanité et permet, en retour, à celle-ci de tirer, dans l’intérêt général, le meilleur parti des éléments qui la composent.

La communion humaine comprend non seulement les contemporains, quelle que soit leur nationalité et quelle que soit leur profession, mais aussi les ancêtres et les descendants. La culture doit permettre à chacun de nous de sentir les liens de solidarité toujours plus étroite qui l’unissent avec tous les hommes actuellement vivants, et aussi avec ceux qui, dans le passé, ont souffert pour nous ménager une existence meilleure, ainsi qu’avec nos descendants pour qui nous avons le devoir et l’instinctif désir de préparer une existence meilleure encore.

La difficulté du problème de la culture est soulignée par le fait que la plupart des pays occidentaux n’ont pas encore réussi à réaliser un enseignement satisfaisant de